Comment ça marche ?



Le cadavre exquis
consiste à former des phrases à plusieurs voix, chacun ajoutant un mot à celui qui précède.
Les membres du collectif de L'A(rt)Muse n'écrivent pas une phrase mais une histoire, déroulée dans des disciplines et des registres culturels divers (visuels, littéraire, reportage, cinéma, etc.).
Ces créatifs, de toutes disciplines, interviennent de plusieurs manières : pour illustrer un texte, pour légender des éléments visuels et/ou pour ajouter un chapitre.
La seule exigence consiste à respecter le principe du cadavre exquis : chaque contributeur, en éclairant un sens du chapitre qui le précède, en apporte un nouveau à l'histoire et ainsi de suite.
Les "commentaires" peuvent également être l'occasion de proposer un autre regard, un regard scientifique par exemple : ils figureront alors dans le récit à la manière de notes de bas de page.
Pour consulter les précédents chapitres de GéNéSiS, premier cadavre exquis de l'A(rt)Muse en cours de réalisation, cliquez sur
GéNéSiS - le Livre,
Le prologue est accessible ici. Le texte est long et difficile à lire à l'écran. Nous vous conseillons de l'imprimer.



09/04/2008

Chapitre 3 : Safe sex

J’en peux plus, je suis mort, je suis foutu, moulu, désintégré.
Je sais plus qui je suis, où j’en suis, où j’habite. Je suis mort, disparu, décomposé.

Pour un mort, tu parles beaucoup, je trouve.

Mais qui parle ?

Moi.

Toi ? Ca alors… Je pensais que t’étais mort.

J’ai l’air mort, parce que c’est l’hiver, je n’ai pas de feuille. Aïe ! Mais tu m’as piqué, saleté ! tu m’as piqué !

Hmmm ! ta sève est délicieuse.

Mais arrête, tu me fais mal

Juste un petit prélèvement, puisque finalement je suis pas si mort que ça.

J’espère que t’as pas de microbes, au moins ?

Allons bon, un phobique !

Normal : tous les spécimen de mon espèce sont morts d’une maladie inconnue. Je suis le dernier survivant.

Ca c’est pas de chance.

D’être un survivant ?

Oui. Ca doit pas être gai tous les jours.

C’est affreusement triste. Jour après jour, année après année, je balance mes branches dans le vent. En vain.

Arrête, je vais pleurer.

Mais toi qui viens de loin. N’as-tu pas rencontré d’autres membres de mon espèce ?

C’est quoi ton nom de famille ?

Perapter ontologicus.

Et ton petit nom ?

Arbre à lucioles.

Mignon, ça. Pas que j’aime particulièrement les lucioles : on est ennemis. Mais j’avoue que c’est joli la nuit, quand elles font leurs petites simagrées érotiques.
Alors ?

Alors quoi ?

Est-ce que tu as déjà vu un arbre à lucioles ?

Perapter ontologicus, tu dis ?

Aïe ! encore ! Mais, arrête !

Excuse, je goûte à nouveau, pour être sûr… Vraiment délicieux. Un goût qu’on n’oublie pas.
Mais, aïlleuh !

Oui, j’ai déjà goûté ça quelque part.

C’est vrai ? Où ça ?

Attends, je cherche. Pas évident. C’est ma madeleine de Proust à moi. Faut du temps…

J’en ai assez perdu : je suis déjà à la moitié de ma vie. Si j’avais la possibilité de rencontrer enfin l’élu de mon cœur…

Attends, attends…ça vient… dis-donc, t’as lu ton horoscope aujourd’hui ? T’as joué au loto ? Non ? Parce que c’est ton jour de chance, sans déconner. Je me souviens très bien maintenant. Un ravissant arbre à luciole, tout jeune, cinquante ans à tout casser, frondaison épaisse, tronc élancé, écorce veloutée…

Où est-il, où est-il ?

LOIN

Très loin ?

Très.

Écoute, tu vas repartir dès que tu peux, pour lui dire, lui dire…

Pas question. Je ne retourne pas là-bas. D’abord, je peux pas. J’ai été emporté par un ouragan, je sais même pas comment je suis arrivé ici.

S’il te plaît, je te donnerai toute la sève que tu veux.

Impossible je te dis. D’abord, ma vie entière n’y suffirait pas.

Tu vis combien de temps ?

Pas assez.

On dit toujours ça.

N’empêche.

C’est quoi ton espèce ?

Musca calubrinis clorae. Cloclo pour les intimes.

Ca fait soixante dix ans que je vis tout seul et que je m’ennuie, j’ai eu le temps d’étudier. Alors voyons
ça… musca calubrinis… musca… voilà : parasite du pin, habitat semi-désertique, Bla, bla… vit en moyenne quatre mois. Pas mal pour un insecte.

Tu trouves ?

Oui. Et j’ai une grande nouvelle pour toi. T’as joué au loto, aujourd’hui ? C’est ton jour de chance : tu vas pouvoir revenir dans ton pays.

Et comment ?

La tempête qui t’a jetée ici est cyclique. La saison suivante : elle repart en sens inverse.

Ah oui ?

Tous les dix ans en moyenne, elle atteint cette puissance exceptionnelle, jusqu’à souffler jusqu’ici.

Donc, si je te suis bien : faut que j’attende la tempête du retour, à la fin de la saison ?

Oui.

Et comment il va faire, l’autre, pour la réponse ?

Eh bien, il attendra dix ans et alors…

Pas mal comme système : vous risquez pas de vous couper la parole.

T’as une meilleure idée ?

Oui. Je sais pas si tu as remarqué, mais je suis une femelle.

Une femelle ?

Tu sais ce que c’est ?

J’en ai une vague idée de par mes lectures.

Je suis pleine d’œufs. Je vais pondre ici. Regarde dans ton bouquin : deux mille œufs à chaque ponte.
Soit un bon millier de larves.

Quoi ? Mais quelle horreur ! Jamais de la vie. Dégage d’ici, tout de suite !

Faut savoir ce que tu veux ! L’amour, c’est sale et risqué, on te l’a jamais dit ? Plus c’est sale, plus c’est
bon. Plus c’est risqué, plus c’est grisant.

Mais quel rapport ?

Lis la suite : Musca calubrinis chlorae, « se déplace en essaim sur des distances pouvant aller jusqu’à des centaines de kilomètres », c’est marqué là.

C’est vrai, c’est écrit.

C’est écrit ! c’est même écrit là. Lis. SANTE : attention, un petit pépin mais rien de grave. ARGENT : C’est le moment de faire un placement. CŒUR : une occasion se présentera. Sachez la saisir. LA SAISIR !
Faut que je réfléchisse.

Dépêche-toi, j’ai des contractions.

Est-ce que ce n’est pas dangereux ?

Qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Est-ce que ça va faire mal ?

L’amour ? Toujours !

Je ne sais pas.

Si tu ne te décides pas, je m’envole plus loin.

Je ne sais pas. Je ne sais pas.

Réfléchis : le svelte arbrisseau, tout seul dans son vallon fleuri, et qui n’attend que toi.

Tu lui porteras mes messages ?

ON lui portera tes messages.

Et rapporterez ses réponses ?

Promis. Juré, craché.

Alors ?

Vas-y, ponds !
© Catherine Ramberg-Bexon




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